Conflit RDC - Rwanda : Professeur André Mbata Mangu réagit au discours du Président Mbeki à l'Ecole africaine Thabo Mbeki de l'Université d'Afrique du Sud (Tribune)

Lundi 18 mars 2024 - 08:55
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Dr André Mbata Mangu est Professeur Ordinaire à la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa en République Démocratique du Congo (RDC). Il a été premier vice-président de l'Assemblée Nationale de la RDC et a enseigné le droit public dans plusieurs universités en Afrique et en Europe.

Il y a quelques jours, l'ancien président sud-africain et le fondateur de l'École africaine des affaires publiques et internationales Thabo Mbeki, Dr Thabo Mvuyelwa Mbeki, s'est entretenu avec les étudiants et les universitaires de l'UNISA, en particulier ceux de son école africaine.

À propos du conflit dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) dans lequel le président rwandais Paul Kagame est impliqué depuis son putsch au début des années 1990 et parlant de la RDC, Mbeki a déçu de nombreux étudiants et universitaires. Rares sont ceux qui pouvaient encore reconnaître l'intellectuel qui avait écrit "Afrique : le moment est venu"(Africa: the time has come, 1998), l'homme qui vantait un "leadership politique de qualité" pour atteindre l'objectif de la "Renaissance africaine" et qui est actuellement le Chancelier de l'UNISA, "l’Université africaine qui façonne l’avenir au service de l’humanité" (Vision de l'UNISA).

Pour servir ou promouvoir quelques intérêts personnels qu’il partage sans doute avec d’autres dirigeants étrangers et des multinationales occidentales, l'ancien président n'a pas dit la vérité et n'a pas tenu compte de la réalité lorsqu’il a abordé la situation en RDC.

Ressassant la rhétorique dépassée de Kagame pour justifier son crime d'agression (protéger le peuple rwandais, empêcher un nouveau génocide des Interhamwe qui avaient perpétré le génocide des Tutsis au Rwanda en 1990 avant de fuir en RDC, les éliminer, et protéger la population tutsi habitant la RDC), Thabo Mbeki est devenu l'un des plus fervents partisans du dirigeant rwandais et de son régime autoritaire.

En raison de son soutien sans réserve à Kagame, l'ancien président sud-africain, qui fut également un défenseur de la démocratie et des droits de l'homme en Afrique, compte à présent parmi les meilleurs avocats du dictateur et semble avoir rejoint plusieurs autres dirigeants politiques et économiques, en particulier ceux de l'Occident, qui sont devenus des "agents" ou des "courtiers" du Rwanda dans le monde entier.

Comme il l’a révélé, il a pu parler de la démocratie au président sénégalais Macky Sall et plaider pour la libération de l’opposant Ousmane Sonko, mais dans ses contacts avec le président rwandais, Mbeki ne dit pas qu'il a déjà évoqué ce sujet de la démocratie et de la libération des opposants au Rwanda.

L'Homme fort du Rwanda semble croire qu'il est né pour diriger et diriger pour toujours, sans opposition. Il a réussi à établir un système de parti unique ou un régime militaire de fait. Paul Kagame n’organise jamais d’élections libres et transparentes. Les droits de l’opposition sont bafoués et les dirigeants politiques savent à quoi ils peuvent s’attendre lorsqu’ils s’engagent dans l’opposition. Il n'y a pas de démocratie, pas de liberté d'expression ni celle des médias au Rwanda. Le président Kagame peut être félicité pour sa bonne gouvernance bien qu'elle soit autoritaire, mais la démocratie, les droits de l'hommne ainsi que les élections libres, crédibles et transparentes au Rwanda ne sont pas des sujets de préoccupation pour le président Mbeki et les autres dirigeants occidentaux qui soutiennent le président Kagame et ses aventures répétées dans l'est de la RDC.

La triste impression qui en découle est que, pour l’ancien président sud-africain, le leadership style Kagame est le genre de leadership politique qui devrait être imité sur tout le continent et qui serait nécessaire à une "Renaissance africaine" !

Personne ne pourrait condamner Thabo Mbeki d'avoir accepté l'invitation de Kagame pour l'honorer au cours de la commémoration du génocide rwandais qui aura lieu dans quelques jours, mais il n'avait pas besoin d'une conférence publique à UNISA pour nous annoncer son prochain voyage à Kigali ou pour réitérer son amitié avec le dictateur rwandais.

L'ancien président sud-africain ne dira aucun mot tout comme il n'exprimera aucun regret ni condamnation au sujet du génocide d'environ 10 millions des Congolais tués sur le sol congolais par l’armée rwandaise et les rebelles du M23 qui sont des marionettes de Kagame. Il déforme l'histoire en ne disant pas la vérité au sujet du Président Mobutu et de l'origine de la rebellion du M23.

Déjà sous le régime du Président Mobutu, la nationalité congolaise leur avait été reconnue et certains kinyarwandaphones avaient été nommés ou élus ou nommés députés ou ministres. L'un d'entre-eux était directeur de cabinet du Président de la République. D'autre part, le M23 n'était pas créé pour revendiquer la nationalité congolaise. C'est une création de Kagame pour poursuivre son entreprise de pillage et de conquête des terres de la RDC. Plusieurs études l'ont démontré et ne pouvaient pas être ignorées par un leader politique et un brillant intellectuel de la trempe de l'ancien président sud-africain. 

Président Mbeki justifie l'agression par le Rwanda et son intervention en RDC qui va pourtant à I'encontre de quelques principes cardinaux regissant les relations internationales contenus dans la Charte des Nations Unies (ONU) et dans l'Acte constitutif de l'Union africaine (UA), en particulier le respect de l'intégrité territoriale, de l'indépendance et de la souveraineté d'autres Etats.

C'est fort dommage que Mbeki endosse la rhétorique guerrière de Kagame pour justifier l’injustifiable. Pourtant, rien en droit international ne saurait justifier l’agression rwandaise contre la RDC, le pillage de ses ressources naturelles et les violations des droits des Congolais par le Rwanda ni la présence de son armée sur le territoire congolais.

Le président Cyril Ramaphosa a fait pression pour une intervention militaire de la SADC afin d'aider le gouvernement du président Félix Tshisekedi Tshilombo à rétablir l'intégrité territoriale de la nation, à protéger les droits de son peuple et à mettre un terme à l'agression et au pillage rwandais dans l'est de la RDC. Il a eu raison de ne pas consulter l'ancien président car il connaissait certainement déjà sa position sur le conflit et son soutien au président rwandais.

L'ancien président sud-africain a donc délibérément ignoré ou choisi d'induire en erreur son auditoire sur le groupe rebelle terroriste M23 et sur les Banyamulenge (Congolais d'expression kinyarwanda). Ils jouissent de la citoyenneté congolaise en vertu de la Constitution actuelle de la RDC de 2006 (article 19). Certains d'entre eux sont membres du gouvernement, de l'Assemblée nationale, du Sénat, des gouvernements provinciaux et des assemblées provinciales. Ils se sentent tout à fait chez eux en RDC et n'ont jamais pensé aller au Rwanda ni appelé le gouvernement rwandais à violer l'intégrité territoriale de la RDC pour venir défendre leurs droits politiques surtout qu'ils savent avec certitude que le gouvernement du Rwanda ne se soucie pas des la droits de son propre peuple au Rwanda.

Combien d’Interhamwe (Hutu accusés d’avoir perpétré le génocide contre les Tutsi) qui ont fui le Rwanda en 1990 sont encore en vie et combattent activement Kagame en RDC alors que son armée avait été autorisée à entrer et avait quitté le pays en affirmant que le travail (d'élimination des génocidaires) était terminé?

L'économiste Mbeki sait bien que le véritable motif de l'agression rwandaise de la RDC est la conquête des terres et le pillage des ressources minérales que le Rwanda exporte vers les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne. Il s'agit d'une "guerre économique" menée par le Rwanda avec la complicité des gouvernements occidentaux et des sociétés multinationales.

L’Occident est le premier consommateur des minérais de sang provenant de la RDC et soutient l’agression rwandaise contre la RDC.

C'est pourquoi l'UE a récemment signé un protocole avec le Rwanda sur l'exploitation de ressources minérales comme le coltan, sachant très bien qu'elles ne se retrouvent nulle part au Rwanda mais pillées en RDC. "Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts", disait l'ancien président français, le général de Gaulle. Les intérêts priment donc sur le respect de la démocratie, des droits de l’homme et du droit international. Le soutien occidental au gouvernement de l’apartheid en Afrique du Sud reposait sur cette évidence.

Les déclarations officielles ou les communiqués manifestant en apparence leur solidarité envers le peuple congolais ne peuvent cacher ce fait.

Le leadership, c’est aussi connaître et dire la vérité au lieu de la rejeter.

Ce qui se passe en RDC n’est pas différent de ce qui se passe en Ukraine ou à Gaza. Il est triste de constater que les leaders africains comme le président Mbeki et les mentors occidentaux gardent les yeux fermés sur le génocide, les crimes de guerre, les crimes et les pillages commis par les forces rwandaises et leurs fantoches terroristes du M23.

Au lieu de blâmer Kagame qui viole toutes les règles et principes du droit international, l’ancien président sud-africain Mbeki et d’autres dirigeants ont choisi de se ranger du côté du Rwanda et de blâmer plutôt le gouvernement et le peuple congolais.

Tout comme le racisme ou l’apartheid le fut en Afrique du Sud, le génocide est un crime en droit international. C'est aussi le cas des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et du crime d'agression. 

Un crime international comme le génocide des Tutsis au Rwanda en 1990 ne saurait donc pas justifier un autre ou plusieurs autres comme le génocide, les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crime d'agression commis actuellement par le Rwanda en RDC à travers son armée et ses marionettes terroristes du M23. 

Tout soutien aux agresseurs, qu'il soit politique, économique, financier, logistique, diplomatique, militaire, ou autre et toute complicité avec le Rwanda est immoral et contraire à toutes les valeurs de civilisation. Il en est de même du silence au sujet de ces crimes qui équivaut à la complicité avec le Rwanda. 

Les gouvernements des pays comme les Etats-Unis, la Grande Bretagne, et les pays de l'Union européenne vont jusqu'à signer des accords qui permettent au gouvernement rwandais de poursuivre ses activités criminelles en RDC pendant que des leaders comme Mbeki ne cachent pas leur soutien ou leur admiration pour Kagame.

Le président Mbeki ne peut pas nous convaincre que l'Afrique avec des dirigeants comme Paul Kagame est "l'Afrique que nous voulons" et que l'intervention de Kagame en RDC démontre le "leadership politique de qualité" qu'il avait voulu promouvoir lorsqu'il avait fondé l'Ecole africaine Thabo Mbeki à UNISA.

Finalement, trop c'est trop. Les Congolais ont décidé de se lever pour libérer leur pays de l'agression rwandaise.

La Renaissance africaine ne peut se réaliser sans la paix en RDC qui est le cœur et le pays le plus riche du continent.

La RDC et le Rwanda ont entretenu des relations amicales pendant des décennies jusqu’au génocide et à l’arrivée au pouvoir du président Kagame. Un génocide a été perpétré au Rwanda par certains Rwandais contre d'autres Rwandais. Les Congolais n’ont jamais été impliqués.

Les dirigeants comme le président Mbeki et d'autres qui soutiennent Paul Kagame devraient l’aider à comprendre que l’avenir des nations est étroitement lié. La paix en RDC et dans la région des Grands Lacs est cruciale pour le développement de l'Afrique. Un petit pays de quelques millions d’habitants ne peut pas prévaloir trop longtemps sur une nation de plus de 100 millions d’habitants. En conséquence, ceux qui applaudissent Kagame et le Rwanda pour l’agression de la RDC ne tarderont pas à se rendre compte qu’ils ont eu tort et qu’ils ont échoué politiquement et/ou intellectuellement à faire preuve de leadership pour façonner un avenir au service de l’Afrique et de l’humanité.