Affaire Kabund contre Garde Républicaine : Effet papillon ! (Tribune de Me Claude Kayembe)

Lundi 17 janvier 2022 - 20:31
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Vivre dans la capitale Rdcienne est devenu un casse-tête à plusieurs égards, entre autres, le fait de se rendre d'un point X à un point Y savère un véritable cauchemar. Combiner plusieurs programmes dans une journée relève de l'exploit. Employés, ouvriers, hommes daffaires, étudiants, élèves, professionnels de la route, même les hommes politiques, Bref, toutes les couches de la population se plaignent et ne savent plus à quel saint se vouer tant personne ne semble détenir la solution !

Pistes de réflexions pour mieux appréhender cette problématique ?

Avec l'apparition et l'essor de l'automobile, la mobilité dans les grandes villes du monde fait l'objet de grandes réflexions et décisions dans le chef des décideurs. Dans les pays organisés, chaque année il y a des innovations en matière technologiques et/ou d'infrastructures en rapport avec la circulation routière. Et ce, dans le seul but de fluidifier la circulation, sinon c'est l'anarchie qui trouble la quiétude des paisibles citoyens, sans oublier que le véhicule en soi peut troubler considérablement l'ordre public en causant des accidents avec blessés graves et/ou décès. Et c'est la paix sociale qui en prend un coup. En effet, à Kinshasa, la route est devenue une source d'inquiétude tant pour les « usagers faibles » que les « usagers forts ». Personne n'y est à labri, disputes, rixes, injures, quolibets, altercations, sont devenus le lot quotidien de l'usager de la route. 

Pour pouvoir traverser les chaussées, les piétons - usagers faibles par excellence - se regroupent à l'instar des bancs de poissons dans les océans pour se protéger des prédateurs marins. Ils multiplient des gestes d'humilité et de soumission pour demander le passage aux conducteurs, lesquels cèdent selon leur bon-vouloir. Comment ne pas évoquer le cas des véhicules à deux roues (wewa) qui pullulent sur les routes kinoises et semblent ne pas du tout être concernés par le code de la route. De leurs côtés, les plus nantis (wewa à col blanc) se sentant au-dessus des règles, non seulement, ils les enfreignent à souhait, mais en plus, ils ne se font jamais interpeller par les agents de lordre, lesquels risquent des réprimandes de la part des autorités hiérarchiques. 

Quant à ces agents, ils sont obligés de créer parfois des infractions imaginaires pour espérer avoir un petit rien (madesous ya bana ou mbote ya likasu) pour la fin de la journée. Dès lors qu'un conducteur exhibe un fanion, un gyrophare, un laissez-passer, une matraque, une tenue de policier ou militaire, etc. les agents de l'ordre sont au garde-à-vous, infraction ou pas ! Cest ainsi qu'ils sont contraints de se rabattre sur les autres conducteurs qu'ils n'hésitent pas à rançonner. Il se dit dailleurs qu'ils sont placés dans les artères les plus rentables en fonction de leur rendement. Car, chaque fin de journée, les commandants attendraient leur part de gain, sinon c'est la sanction qui se traduit par l'affectation à des endroits moins rentables.

Ajouter à cela, chaussées dégradées, absence de signalisation, luminosité quasi inexistante, robots et feux tricolores défectueux, véhicules hors d'état de conduire, pose de pare-buffle pour se protéger des autres conducteurs, piétons, chariots, pousse pousses et motos omniprésents, agents de l'ordre démissionnaires et rançonneurs, véhicules de police sans immatriculation et en piteux état. Bref, un véritable capharnaüm qui déteint sur l'image du pays !

Face à un tel panorama, est-il encore possible de faire bouger les lignes ? A priori non ! Le mal est tellement profond tant les habitudes se sont installées depuis des années laissant croire qu'il est impossible de remédier à cette situation kafkaïenne. La capitale de l'un des pays les plus riches de la terre ne peut continuellement faire piètre figure en la matière. Il faut de toute évidence, un sérieux courage politique. 

A titre de rappel, lorsqu'on parle aujourd'hui du court passage de Laurent-Désiré Kabila à la tête du pays, c'est essentiellement le relatif ordre qu'il avait rétabli sur les routes que les kinois relèvent. 21 ans après sa mort, ceux-ci lui donnent encore un satisfecit. Et pourtant, les méthodes étaient rudes ! C'est la preuve que la mobilité peut devenir un programme politique par excellence qu'il ne faut par ailleurs pas négliger. Dailleurs en Occident, elle sinvite toujours dans les débats politiques électoraux. Réussir à rétablir lordre sur les routes kinoises, au-delà du social et autres, peut même faire pencher favorablement une partie importante de l'électorat. Et cela est d'autant plus vrai que le kinois n'en peut plus du désagrément que cela crée, qui affecte considérablement la qualité de vie.

Circulation routière, source de revenus pour l'État  !

Dans un tout autre registre, l'autre raison qui doit accroitre la détermination des autorités, c'est son aspect financier. En effet, la circulation routière est devenue une manne pour les Etats qui s'y penchent sérieusement. Hormis la fiscalité et ressources naturelles qui génèrent des revenus certains pour la RDC, il y a un domaine qui semble négligé qui permet pourtant aux autorités budgétaires sous d'autres cieux de boucler aisément les différents exercices budgétaires. Cest bien sûr le domaine de la circulation routière, notamment les amendes inhérentes aux infractions de la route.

Certes, l'automobiliste est appelé à payer plusieurs frais liés à son véhicule (assurances, vignettes, taxes de circulation) qui génèrent également des revenus certains pour l'État. Cependant, les amendes routières, à elles seules, sont une ressource très importante. Non seulement, elles ont un effet dissuasif avéré, car lorsqu'on touche au portefeuille cela ne plaît guère. Mais aussi, elles permettent à l'État d'investir dans les infrastructures routières, dans les équipements des agents, dans toutes sortes d'appareillages pour lutter contre les infractions routières. 

A titre d'illustration, en France les recettes liées à la circulation routière sont de l'ordre de 1,650 Md d'euros dont 889M venant des contrôles de police et 760M des contrôles de radars (180,4M affectés au désendettement de l'État, 684 M affectés à la sécurité routière, modernisation et entretien du réseau routier, 171,3M affectés aux collectivités locales pour leurs projets de voirie et 4% pour la santé). Pour sa part, la Belgique, ce si petit pays (80 fois moins grand que la RDC), son budget est alimenté par des amendes liées à la circulation qui sélèvent entre 800M et 1Md d'euros. En Espagne, c'est de l’ordre de 375 M d'euros. Cette somme ne comptabilise pas celles de la région Catalane ni de la région Basque qui ont une forte autonomie administrative. Ce qui m'étonne dans ces pays, c'est lorsqu'il y a un grave accident ou incident qui entrave méchamment la circulation, les professionnels du commerce les traduisent systématiquement en terme de manque à gagner pour l'économie nationale. Cest dire quil y a indéniablement une corrélation entre circulation routière et activités commerciales. Or à Kinshasa, c'est quasi tous les jours que lon assiste à des embouteillages monstres. Corollaire, l'économie ne peut quen être affectée !

De ce qui précède, il en ressort que même dans les pays où l'infrastructure est adéquate, où les conducteurs ont décroché leurs permis de conduire dans les normes. Au volant, l'être humain a cette propension à enfreindre les règles, au point de générer au travers des amendes, des revenus colossaux pour le trésor publique. 

Après avoir suivi les débats et passer au crible la loi des finances publiques 2022, grand fut mon étonnement de constater qu'il n'existe aucune rubrique sur les amendes routières (recettes non fiscales). Or, nous savons tous qu'elles sont régulièrement perçues. Où va donc cet argent ? Est-ce un simple oublie ou une absence de conscience des autorités en charge de la mobilité et de la sécurité routière de ce que ce domaine peut être une manne pour le trésor publique ?
De toute évidence, la RDC est victime de la politique du « Tout minier ». Lon focalise les efforts sur les mines et de plus en plus sur la télécommunication, au détriment d'autres secteurs comme la circulation routière.

Comment se règle les litiges en la matière en RDC ?

Le gros des litiges en la matière se règle devant les commandants de police, dans l'arbitraire le plus total et les sommes perçues échappent aux caisses de l'État. Seuls les accidents graves sont gérés par le parquet.

L'un des moyens pour mieux gérer ce type de litiges, c'est l'instauration dune juridiction ad hoc. En effet, il existe énormément de litiges qui conduisent à des contestations de la part des automobilistes. Malheureusement, ceux-ci ne savent pas valablement les contester et se sentent contraints de payer les sommes exigées par les agents de police pour récupérer au plus vite leurs véhicules. Alors que si l'on retire aux commandants de police la possibilité de percevoir les amendes tout en leur laissant uniquement la possibilité de dresser des PV avec bien sûr un pourcentage sur chaque PV dressé, cela pourrait réduire leur influence.  

Néanmoins, pour des infractions graves, par exemple défaut dassurance, lésions physique et/ou homicide, le véhicule doit être saisie. Bien sûr, il peut également dresser des PV sans interpeller le conducteur. Dans ce cas, pour éviter les abus et contestations, il faudrait recourir à la technologie (Body cam, caméras de surveillance, radars,). Il est inconcevable en plein 21e siècle de gérer un domaine aussi important sans investir dans la technologie. De toutes les façons, avec les amendes, l'État rentrera très vite dans ses frais. En guise d'exemple, en Belgique, le radar de l'avant dernière génération de type LIDAR dont le coup sélevait à +- 100.000 euros, a permis à l'État de rentrer dans ses frais en seulement 3 mois. 

En Afrique, lan dernier, les autorités ivoiriennes ont doté le pays de 6000 caméras et radars, au motif que le pays enregistre 6700 accidents/an dont 700 décès. Actuellement, c'est l'un des pays d'Afrique qui est à la pointe de la technologie en matière de roulage. 
Concrètement, comment s'y prendre ? Certes, le mal est profond, mais est-ce une raison pour laisser ce domaine à l'abandon ? Est-ce que les automobilistes congolais ont plus durgence que ceux des autres pays ? Est-ce que les professionnels de la route ont plus besoin d'engranger des recettes que dans dautres pays ? Est-ce que les officiels en RDC ont plus de raisons de se mouvoir plus vite que ceux d'autres pays ?

Dans la négative, alors aux grands maux les grands remèdes !

A mon sens, il faut créer des zones de « tolérance zéro » dans les artères principales. Cela peut donner l'impression de créer des zones de droit et de non droit. Cependant, le mal est tellement profond qu'on ne peut rétablir l'ordre partout en même temps. Il faut aller crescendo, c'est une démarche que plusieurs pays ont expérimenté.  Ainsi, sur les artères principales, l'État sengagerait à rétablir la signalisation, les feux tricolores, les parkings pour les professionnels du transport, les nids de poule sur les chaussées, 

En revanche, l'automobiliste doit sengager à respecter scrupuleusement les règles du code de la route sur les zones de tolérance zéro, sachant que la consigne pour les agents de lordre serait de sanctionner avec la plus grande sévérité, non seulement, pour remettre de lordre sur la voie publique. Mais encore et surtout, pour engranger des revenus pour l'État afin déquiper la police et restaurer les infrastructures routières.

Cela peut choquer, mais c'est le seul moyen, frapper là où ça fait mal, le portefeuille ! A ce stade, on ne peut plus demander aux automobilistes de rentrer à l'auto-école. Les chauffards vont assimiler les règles de conduite au travers des sanctions sévères. Comment explique-t-on que les mêmes automobilistes, une fois en dehors des frontières du pays, deviennent des enfants de cur au volant ? Plus étonnant, même les autorités qui se pavanent avec des escortes, brulant feux et sens interdits. Une fois à lextérieur, ils sont méconnaissables, dans leurs petits souliers, craignant la moindre interpellation des agents de lordre. Et quand ils reçoivent une convocation du tribunal de police, cest l'angoisse (Maître que va-t-il marriver ? Je risque la prison ? Cela peut-il interférer sur mon dossier à l'ambassade ? Aurai-je une mention dans mon casier judiciaire ?). Pour avoir exercé longtemps comme avocat en Belgique, j'en sais quelque chose. 

Le juriste belge R.O. Dalcq ne disait-il pas « Qui a voiture,  a procédure ! ».
Et pour que le respect des règles sur les routes soit efficient, il me parait opportun de contraindre chaque bourgmestre d'assurer personnellement la régulation de la circulation sur son territoire. En effet, l'on semble perdre de vue qu'un bourgmestre a, conformément à la loi organique 08/016 du 07/10/2008 (art. 60 et s.), la charge légale de la sécurité des biens et des personnes ainsi que la mobilité dans sa commune. Pour ce faire, un bourgmestre avec sa compétence générale d'OPJ, peut donc constater et verbaliser toutes les infractions sur son territoire. Aussi, que la même obligation incombe aux ministres de l'intérieur et adjoints, aux officiers de police (Généraux, colonels, majors, capitaines,). Car, la place d'un policier, fut-il officier, est en grande partie sur terrain.

Pendant une période d'au moins 6 mois, il faut leur imposer, aux heures de pointe, de sortir de leurs bureaux feutrés (de 6 à 9 heures et de 15h30 à 19 heures). De toutes les façons, ils sont payés pour ça. Ainsi, que tous les titres qu'ils adorent brandir se traduisent sur terrain au profit de la communauté. Pour ce faire, il faudrait réduire drastiquement le nombre d'agent commis à la garde des individus pour les affecter à la sécurité de la collectivité. C'est un secret de polichinelle, le service de garde rapprochée génère énormément d'argent pour la police. Mais est-ce que cela est comptabilisé dans le budget de l'État ?

Cependant, les amendes routières avec l'opération « Tolérance zéro » sur les grandes artères, engrangeraient beaucoup plus dargent et profiteraient à la communauté toute entière. De toutes les façons, combien de fois n'avons-nous pas vu des cortèges complètement coincés dans des embouteillages. Tout le monde en est victime !

Dans le cadre de cette opération, il faudrait également imposer aux organisateurs de grands évènements (funérailles, mariages, concerts, cultes, messes, supers marchés, écoles,) de louer les services dau moins 5 à 25 policiers, sans quoi une amende salée leur serait infligée. Et tout cela générerait des revenus pour les communes et la police, sans oublier que ça devrait créer de l'emploi.

En outre, il est impérieux de régler cette situation de cohabitation des véhicules à volant à droite et à gauche. Face à la même situation, le Nigéria, en son temps, a pu courageusement régler le problème. Il faudrait également clairement définir le nombre d'officiels qui ont droit de se déplacer avec un cortège. Ce qui choque, c'est le nombre d'éléments armés affectés à la sécurité d'un seul individu, qui plus est, braquent constamment leurs fusils d'assaut sur les paisibles citoyens, qui du reste, sont les contribuables. A mon sens, seul le Chef de l'Etat, pour des raisons évidentes, a droit à une garde motorisée imposante et d'enfreindre le code de la route. Le reste, fut-ils corps constitués, nen a absolument pas besoin. Tenez, les premiers Ministres Belges et Français nont qu'un seul véhicule de suite, et pourtant, ces deux pays ont été frappés de plein fouet par des attentats terroristes.

Il est évident qu'une telle opération (tolérance 0) - sans une infrastructure adéquate, sans appareils de surveillance sophistiqués, sans équipes de police spécialement formés, sans véhicules de police à 2 et 4 roues performants, sans une sensible augmentation des effectifs de police et de leur rémunération - serait vouée à léchec. Tout se tient inéluctablement comme les maillons d'une chaîne ! L'espoir est encore permis dans la mesure où lors du dernier conseil des ministres, le Chef de l'Etat semble avoir pris le problème à bras le corps.  

Plaidoyer pour la création dune juridiction ad hoc !

Une autre faiblesse du système congolais en la matière, c'est l’absence d’une juridiction ad hoc compétente pour gérer exclusivement le contentieux lié à la circulation routière. En effet, dans une société déterminée, il me parait évident que lorsque des litiges dans un domaine déterminée sont en recrudescence, la manière la plus efficace de les appréhender, c'est la création d’une juridiction ad hoc avec des juges spécialement formés.

Avec l'essor de l'automobile et sa multitude de litiges (incidents, accidents, infractions plus ou moins graves, incapacité temporaire ou permanente de travail, homicide involontaire,), il est impensable qu'un contentieux aussi important soit noyé et pris en charge par une juridiction qui a toute une série d'autres compétences. Il est impérieux que les juges soient spécialement formés pour appréhender et statuer sur ces litiges qui revêtent une certaine complexité. Cette juridiction porterait l'appellation de « Tribunal de la Circulation routière » (TCR) dont les appels se feraient cette fois-ci au TGI.

Plusieurs pays ont opté pour une telle solution et cela fait ses preuves. Pour ne prendre que le cas de la Belgique, avec l'essor de l'automobile et la panoplie de problèmes causés par elle, la Belgique s'est vue contrainte de créer un tribunal compétent en matière de circulation routière, dénommée « Tribunal de police ».

Du tribunal de police !

Depuis son élaboration en 1975, le code de la route belge a été modifié 106 fois. La première modification est intervenue le 27 avril 1976. La dernière a eu lieu le 13 avril 2019 et est entrée en vigueur le 1er juillet 2019. On voit que le législateur belge est constamment à l'assaut de la circulation routière. Ce contentieux fut jadis de la compétence des justices de paix voire des juridictions correctionnelles lorsqu'il y avait des infractions pénales telles que des homicides involontaires par exemple. C'est donc la loi du 11 juillet 1994 qui a confié tout le contentieux de la circulation, tant civil que pénal à une juridiction unique : le Tribunal de police.

Ce sont les articles 601 bis et 601 ter du code judiciaire belge et 623-1 du code d'organisation judiciaire français qui consacrent la création et le fonctionnement de ces juridictions. Pour les détails, notamment l'étude de l'abondante jurisprudence, je renverrai à mon ouvrage à paraître dans les mois à venir qui plaide justement pour la création d'une juridiction congolaise en matière de roulage. 

Enfin, que l'on ne perde pas de vue que toute la violence qui a caractérisé laffaire Kabund c/GR tire sa source d'un litige de la circulation routière. Ce n'est que la conséquence de la mauvaise gestion de ce domaine qui pousse chacun à imposer sa loi sur les routes. Cet incident a donc eu un effet papillon, « petite cause, grande conséquence ! ». 

Un autre juriste belge JL Fagnart avait dit à juste titre « La circulation routière est comme la circulation sanguine. Cest à ce point important que l'on n'y pense même plus ».

Maître Claude Kayembe-Mbayi