Corruption, vente des décisions judiciaires, tribalisme : la justice est profondément malade en RDC

Jeudi 7 mai 2015 - 08:54

Le Chef de l’Etat a ouvert le lundi 27 avril 2015 les Etats Généraux de la Justice congolaise qui se sont terminés le 02 mai 2015. Ces importantes assises ont eu pour but d’analyser la situation de notre justice et de proposer quelques résolutions dans le but de porter remède à un domaine crucial au développement de la Nation.

Il est de notoriété publique que la justice congolaise est profondément malade. Nombre de spécialistes de la question congolaise sont convaincus que rien de solide ne saurait se construire dans ce pays si des profonds changements ne s’opèrent pas sur le plan de la distribution de la Justice.

Aucun projet de société, aucune révolution, aucune renaissance ne saurait aboutir si les populations n’accordent pas leur confiance aux institutions étatiques. Or, le pouvoir judiciaire est une de ces institutions structurantes de la culture d’un peuple. Elle est le lieu qui fonde cette confiance indispensable à toute paix durable, à toute civilisation et à tout progrès véritable.

C’est à elle qu’on s’adresse pour chercher la vérité ou la juste mesure qui devrait s’imposer à chacun. C’est en la justice que chacun fonde l’espoir de vivre en sécurité tant pour lui-même que pour ses biens.

Une nation désireuse de se développer harmonieusement doit donc accorder une attention toute particulière à la gestion de sa justice.

Tout le monde dénonce

Voilà de nombreuses années que Son Excellence Monsieur le Président de la République exprime très ouvertement son inquiétude quant au fonctionnement de la justice dans notre pays.

Des hauts magistrats ont été révoqués, de jeunes magistrats engagés et formés, et que sais-je encore ? Et ce, toujours dans le but d’améliorer la situation de la justice en République Démocratique du Congo.

Malheureusement, en dépit de tous les efforts, la situation ne semble pas évoluer comme on le souhaiterait. La corruption, la vente des décisions judiciaires, le tribalisme, des négligences coupables et d’autres faits de ce genre persistent et sont dénoncées tous les jours.

Des copies des jugements iniques prononcés par nos magistrats rempliraient des étagères des bibliothèques. J’ai vu de mes propres yeux un jugement accordant la propriété foncière à partir d’un acte notarié non signé par le cédant.

J’ai lu attentivement un jugement prenant en considération une signature apposée sur un document à Genève et certifiée conforme à Kinshasa en l’absence du signataire.

Régulièrement la presse se fait l’écho des jugements coulés en force de chose jugée mais que la justice refuse d’exécuter. En République Démocratique du Congo, plus rien ne garantit la propriété foncière. Des familles se sont vues spolier des biens leur appartenant depuis de nombreuses années.

Tout le monde dénonce l’existence d’une mafia immobilière qui unit des magistrats et des avocats véreux à de hauts fonctionnaires de l’Administration foncière pour faire main basse sur des biens autant des étrangers que des congolais. Il en est de même des biens appartenant à l’Etat spoliés à longueur des journées.

Il serait aisé de rallonger la liste de ce genre d’exemples. Ces méfaits contribuent énormément à détériorer le climat des affaires en notre pays. Or, sans climat des affaires serein, aucun pays ne peut se développer.

L’Etat ne se fatigue pas

En dépit de la persistance des difficultés, l’Etat ne se fatigue pas. C’est ce qui explique la succession de ces réunions, séminaires, assises et Etats Généraux consacrés à la justice. Notre devoir de citoyen est de contribuer un tant soit peu à la recherche des solutions.

Le sens commun veut que pour améliorer la justice, il faut rendre au pouvoir judiciaire sa liberté à l’égard des autres institutions politiques. Tout en présentant une part de la vérité, cette conviction paraît insuffisante pour expliquer l’ensemble du problème.

L’immense majorité des jugements iniques ne concernent en rien des questions ou des relations politiques. Bien au contraire, beaucoup de nos magistrats profitent de leur espace de liberté pour monnayer leurs services.

Puisque le mécanisme de la prise à partie prévu par la loi ne donne pas les résultats attendus, ne serait-il pas possible de donner aux justiciables plus de moyens d’attaquer pénalement des magistrats qui se seraient compromis dans un jugement manifestement contraire à la loi ? A condition, bien évidemment, que ces affaires soient réglées avec diligence.

On pourrait même imaginer la possibilité d’instaurer au sein du bureau du Procureur général de la République, une section en charge de relire des jugements tirés au sort et d’agir contre les magistrats qui se seraient éloignés de la loi.

Si c’était possible, sans remettre en cause l’indépendance de la Magistrature, les services de sécurité devraient suivre les magistrats malfrats, découvrir leurs méfaits et les présenter à la justice. La crainte de la punition devrait aider nos magistrats à mieux respecter les lois.

Il y a certainement aussi une question de sélection, de formation et de rémunération. La détention du diplôme de licence en droit et la réussite au concours d’entrer dans la profession ne devraient pas suffire.

Nos futurs magistrats devraient être l’objet d’une sélection draconienne. Ils devraient être pris parmi les meilleurs licenciés en droit des universités rigoureusement sélectionnées. Et ensuite, ils devraient réussir, non seulement à un examen d’admission sévère, mais suivre une formation spécifique dans une école de la Magistrature organisée à cet effet.

Cette école n’aura pas pour unique but le transfert et l’acquisition des connaissances. Elle s’efforcera de donner une formation morale et humaine extrêmement rigoureuse à l’exemple de ce qui se fait actuellement à l’Ecole Nationale d’Administration qui vient de naître il y a deux ans.

Nous devons modifier la culture des mercenaires

La responsabilité du magistrat est importante, la position du magistrat est socialement élevée. Dans nos sociétés, détenir un tel statut implique des devoirs élargis. Dans la mesure du possible, le budget de l’Etat devrait tenir compte de ces aspects sociologiques et accorder à nos magistrats une rémunération décente.

Dans les conditions de notre pays, la rémunération décente des magistrats a été évaluée à 1.600 USD. Il va sans dire que ce chiffre ne peut pas être atteint d’un coup. Mais, la nation toute entière devrait faire l’effort, dans le souci d’améliorer sa justice, de s’approcher progressivement de ce chiffre.

Comme pour les hommes, les nations qui veulent quelque chose doivent en payer le prix. En l’occurrence le prix à payer dans ce contexte n’est pas seulement financier. La société congolaise n’aura pas une justice différente des comportements qu’elle tolère, voir encourage par ailleurs.
Nos magistrats sont le reflet de ce que nous sommes. Pour changer nos magistrats, nous devons modifier la culture des mercenaires instaurée dans ce pays depuis 50 ans. Tel est le prix à payer.