Sénateur Mokonda Bonza : « Seule une alternance crédible est en mesure d’imprimer au pays un nouveau rythme de travail dans un esprit patriotique»

Jeudi 3 décembre 2015 - 11:29

«Sans notre propre complicité, notre inconstance et notre gloutonnerie, le glissement est irréalisable, Mais, hélas, nous sommes malheureusement corvéables et corruptibles à souhait ». Confession du sénateur Mokonda Bonza au quotidien Le Potentiel, en réaction à la récente adresse du président Kabila à la nation.

 

Dans son message radiotélé visé, Joseph Kabila a annoncé samedi 28 novembre un dialogue imminent qui portera sur le calendrier électoral, la sécurisation des élections, le financement des élections et le rôle des partenaires extérieurs dans ce processus. Quelle est la substance de votre réaction à ce message?

A mon sens, je ne vois toujours pas l’utilité ni l’opportunité du dialogue, étant entendu que les matières qui feront l’objet des échanges ont soit de là responsabilité de la CENI, soit de celle du gouvernement de la République. La CENI est censée être en contact permanent avec les acteurs politiques et sociaux. Dans ce cadre, le calendrier électoral peut être réexaminé et fixé par consensus sans nécessairement convoquer par ordonnance un dialogue. Rappelez-vous qu’en 2006, tout comme en 2011, on n’a jamais convié les acteurs politiques et sociaux à un « dialogue » pour s’assurer de la bonne fin du processus électoral. Y a-t-il péril en la demeure ?

 

Le financement et la sécurisation des élections sont du ressort du gouvernement. Depuis quatre ans, en effet, une ligne de crédit était prévue au budget du pouvoir central pour le financement des élections. Où a-t-on logé ces ressources ? Y a-t-il eu détournement des crédits? Si oui, pour quel motif? Le gouvernement prend régulièrement ses responsabilités sans réunir les acteurs politiques et sociaux. Pour preuve, il n’a pas sollicité l’avis des acteurs politiques et sociaux pour décider du financement notamment du Parc agroindustriel de Bukanga Lonzo, de l’achat des aéronefs, de la construction de l’immeuble « Intelligent ». Invite-t-on les acteurs politiques et sociaux pour monter les stratégies de lutte contre e CNDP, le M 23, les FDLR, les ADF/NALU, les LRA et d’autres encore qui pullulent à l’Est du pays?

 

Le gouvernement, conformément à l’article 91 de la Constitution, dispose des forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité. N’est-ce pas sa mission que de sécuriser les élections ? Si le président de la République veut à tout prix convoquer un « dialogue », c’est qu’il y a alors anguille sous roche !

 

Au niveau de l’opposition, vous semblez être divisés sur le discours du président Kabila, annonçant la convocation d’un « dialogue politique national inclusif », sans précision de date, ni de lieu. Dialogue auquel votre parti est pourtant opposé. Quel décryptage en faites-vous?

Que l’opposition soit divisée, c’est dans l’ordre normal des choses. La liberté d’expression est garantie par la Constitution et les lois de la République.

Cependant, le dialogue que l’on veut «inclusif» est loin de l’être. Vous comprenez bien que même avec la stratégie de dédoublement des partis politiques, la vérité demeure têtue, le tissu étant cousu d’un gros fil blanc.

 

La position de la CDC (Convention des démocrates chrétiens) est claire et constante. Notre parti, signataire du communiqué de la Dynamique de l’opposition, a toujours prôné e dialogue, mais s’insurge contre tout «dialogue » conçu pour violer la Constitution ou cautionner un coup d’état constitutionnel. O la violation intentionnelle de la Constitution tout comme « toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat. Elle est punie conformément à la loi », dispose l’article 64 de la Constitution. Pour sauver notre pays, nous n’avons d’autre choix que d’unir nos énergies pour barrer la route à toute personne ou tout groupe de personnes qui veut réinstaurer une dictature abjecte que le peuple congolais a combattue et honnie depuis belle lurette.

 

Pour certains, le chef de l’État n’a pas donné l’occasion au peuple congolais de comprendre le fond de sa pensée, l’accusant de vouloir revoir certaines clauses de la Constitution, notamment sur les modes de suffrage et de scrutin avec la possibilité d’élire un chef de l’Etat au second degré. Qu’en dites-vous ?

Le vrai problème, aujourd’hui, c’est que les tenants du statu quo ont décidé d’initier un Nouvel Ordre Politique. Celui-ci invite à la rédaction d’une nouvelle Constitution, étant entendu que toutes les tentatives pour modifier celle du 18 février 2006 ont échoué. Le gouvernement d’union nationale issu du dialogue aura notamment pour tâche de la soumettre au référendum. Puisque l’élection au suffrage universel direct ne sécurise plus certaines personnes, le second degré paraît plus facile à organiser, car plus commode pour intéresser et instrumentaliser quelques grands électeurs. Tout n’est pas perdu.

 

Je pense que le président Joseph Kabila saisira nécessairement l’opportunité de son discours sur l’état de la nation, devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès, comme le prévoit l’article 77 de la Constitution, pour calmer le jeu en proclamant haut et fort le strict respect de la Constitution qu’il a promulguée le 18 février 2006. De ce fait, il aura épargné son pays du chaos et d’un bain inutile de sang. La nation congolaise tout entière lui en saura gré.

 

Face à l’évolution de la situation politique aujourd’hui, est-ce que vous ne jugez pas «ambigüe» la position de la communauté internationale qui pourrait favoriser le glissement du mandat présidentiel au-delà de 2016?

Avant toute chose, il est important de préciser que la communauté internationale n’est pas monolithique. En son sein, se retrouvent diverses composantes ne partageant pas toujours les mêmes intérêts. Néanmoins, avant de chercher la paille dans ses yeux, voyons comment nous débarrasser de la poutre dans les nôtres. Sans notre propre complicité, notre inconstance et notre gloutonnerie, le glissement est irréalisable. Mais, hélas, nous sommes malheureusement corvéables et corruptibles à souhait. Nous usons de tous nos talents littéraires pour nous rendre ridicules et indignes. Heureusement que le peuple nous observe et nous jugera en faisant bon usage de son bulletin de vote.

 

Allons du côté de nomination des commissaires spéciaux dans les nouvelles provinces. Quelle analyse faites-vous de cet exercice, périlleux et nouveau? Le pays est-il dans le bon?

La désorganisation de l’appareil administratif de l’Etat orchestrée en février 2015, le refus d’organiser les élections des gouverneurs de province, la neutralisation des assemblées provinciales, la nomination des commissaires spéciaux dont certains paraissent incompétents et inexpérimentés, la convocation d’un « dialogue », telles sont les différentes stratégies échafaudées pour violer la Constitution et créer des jurisprudences. Il est clair que la piste empruntée dans cette forêt luxuriante et touffue est parsemée de pièges. Elle ne pourra que nous obliger à tourner en rond : « Toza ko rond point », comme l’ont si bien chanté nos artistes. Il nous appartient de retrouver une bonne piste en faisant appel à des guides sûrs qui connaissent la forêt. Et, il y en a !

 

S’il faut jet un coup d’œil sur l’avenir de la RDC à court, moyen et long terme, quelles sont, se- Ion vous, les perspectives du pays : un pays écartelé entre pauvreté et croissance positive?

L’avenir de la RDC est sombre pour plusieurs raisons. Il suffit d’observer comment : (i) la pauvreté rurale et urbaine écrase la croissance dite positive ; (ii) Kinshasa, la capitale, est en butte à plusieurs fléaux sans solution apparente en perspective: érosions, chaussées défoncées et coupées, insalubrité publique, bouchage des caniveaux, coupures intempestives de. l’électricité, alimentation déficiente en eau potable, chômage, etc. ; (iii) notre pays a fait preuve d’aphonie à la COP 21 alors qu’il constitue le deuxième poumon de l’humanité e1 qu’il est lui-même fortement menacé par un déboisement excessif en zone rurale et périurbaine ainsi qu’une agriculture itinérante sur brûlis, qui détruit chaque année des centaines de milliers d’hectares de forêt; (iv) le réchauffement climatique nous assaille avec des conséquences sans doute fâcheuses sur la production et la sécurité alimentaires. A cette allure, seule une alternance crédible est en mesure de renverser la vapeur, en imprimant un nouveau rythme de travail dans un esprit patriotique. Et l’alternance, c’est dans un an. Les Congolais sont appelés à vaincre la peur et à s’approprier le processus électoral et l’alternance.

 

Propos recueillis par Marcel LUTETE