RDC: le gynécologue Denis Mukwege est-il en lice pour la présidence?

Lundi 30 mars 2015 - 07:56

Le gynécologue congolais Denis Mukwege dénonce sans relâche depuis 20 ans les viols et les mutilations dont sont victimes les femmes à l'Est du Congo. Pourtant, malgré la dénonciation des atrocités subies, rien ne change dans l'Est de la RDC. Le discours du médecin devient de plus en plus engagé au point que certains prêtent au docteur des ambitions politiques.

Quand il arrive au « Flagey » à Bruxelles pour assister à la projection du film qui lui est consacré, Denis Mukwege a presque l'air effacé, d'une humilité touchante. Le gynécologue a le triomphe modeste.

Depuis 20 ans pourtant, ce chirurgien répare les femmes violées à l'Est du Congo. Sa pratique le confronte à une barbarie insensée qui frappe désormais des fillettes de plus en plus jeunes.

« Ce n'est pas un acte isolé. Il y a quatre petites filles qui attendent le même type d'intervention! Je pense que pour cette fillette, tous les hommes devraient se mobiliser. C'est tout ce qu'on peut faire » dit-il la bouche cachée derrière son masque de chirurgien en pleine opération.

Mais si le monde offre au docteur une oreille attentive et des tribunes prestigieuses, sur le terrain, l'horreur se poursuit, le viol se banalise. « Le choc, poursuit-il, est venu quand j'ai opéré pour la première fois une fille née à l’hôpital, issue du viol de sa mère qui elle-même avait été violée à l'âge de 8 ans. Je ne veux pas me retrouver en train de soigner bientôt les petits-enfants ».

Mukwege dénonce les multinationales et l'impuissance des autorités congolaises

« Comment me taire? », martèle le docteur devant les députés européens réunis à Strasbourg pour lui octroyer le prix Sakharov « quand nous savons que ces crimes contre l'humanité sont planifiés avec un mobile bassement économique ».

Le docteur a choisi ses cibles : les multinationales qui puisent sans retenue dans la richesse du sous-sol de la RDC, mais aussi le pouvoir congolais qui laisse ces massacres impunis : « Quand je vois des gens qui parlent de cinq millions de morts ou de un million de femmes violées et qu'il n'y a aucun tribunal qui essaie de comprendre comment cela s'est passé. Quand je vois que des victimes attendent la justice, je crois que la responsabilité est universelle ».

Des prises de position qui dérangent

Au Congo, Denis Mukwege fait l'objet d'une protection rapprochée. Le médecin a déjà échappé à un attentat. Certains considèrent de toute évidence qu'il est entré de plain-pied dans l'arène politique?

« Il est devenu un activiste », tranche Thierry Michel, le réalisateur du film consacré au chirurgien, « Et donc bien sûr qu'il gêne. Il gêne tout le monde. Il gêne tous les groupes rebelles de quelque obédience qu'ils soient. Il gêne même les autorités de son pays. Je crois qu'elles trouvent qu'il ne donne pas une bonne image du pays. Mais il donne une image réel »".

Le Pasteur Mukwege livre des prêches enflammés

On le sait moins mais le docteur Mukwege est aussi pasteur. Et tous les tous les dimanches, il livre à ses ouailles des prêches enflammés.

« Aujourd'hui, dans notre pays, beaucoup n'ont pas de travail », scande-t-il les yeux mi-clos devant la foule attentive. « Dans notre pay, il n'y a pas de routes. Il n'y a pas de nourriture. Beaucoup d'enfants ne peuvent pas faire d'études ».

Alors, on imagine sans mal que s'il voulait proposer un « votez pour moi », à la place de « Dieu soit loué », il raflerait bien des suffrages.

« Est-ce que lui pourrait jouer un rôle de leader politique? », s'interroge Colette Braeckman, la journaliste du Soir spécialiste du Congo et coréalisatrice du film « L'Homme qui répare les femmes » :

« Personnellement, je trouve que c'est une mauvaise idée. Son rôle est plus important, plus grand, comme conscience, comme porte-parole des sans-voix, des gens vulnérables. C'est plus important que d'entrer dans l'arène et dans les jeux politiques ».

Mais qu'en pense finalement le principal intéressé? Nous avons eu avec lui ce petit dialogue :

- « Pensez-vous vous présenter aux élections en 2016 au Congo? »
- « Je n'y ai pas encore pensé ».
- « Cela pourrait arriver ? »
- « Je ne sais pas. Pour le moment, je fais ce que je fais et je pense que c'est utile pour le Congo ».

Le docteur ne ferme pas complètement la porte politique mais dénonce les exactions et l'impunité de leurs auteurs qui ont pris du galon au lieu d'être traduits en justice. Cela fait avant tout de lui un éveilleur de conscience plutôt qu'un candidat aux élections.